En cette matinée de début de printemps 1956, je marchais à pas pressés en direction du Musée d'Histoire Naturelle, lieu où l'exposition annuelle d'art se déroulait. En tant que fils du directeur du Musée, j'avais pour devoir d'y participer. Je sentais le vent frais et la chaleur du soleil sur mon visage. Des foules de personnes recouvrait les rues, j'avais oublié que se tenait le Carnaval ce jour-là, plus tard, la ville serait recouverte de déguisements, de lampions aux milles couleurs et de confettis de toutes formes. Au détour d'une ruelle plus calme, j'avancais quand soudain, le vent plaqua contre mon visage un carré blanc de coton brodé. Aveuglé, je fus d'abord surpris mais je succombais aussitôt à un parfum exquis dont les notes délicatement fruitées relevées de santal comblèrent mes sens. Cette fragrance envahit tout mon être et enivra mon âme. Lorsqu’enfin je repris mes esprits, je découvris la plus délicieuse des créatures qu'il m'avait été donnée de rencontrer jusqu'alors. Une déferlante d'amour inonda mon être. J'étais submergé par un désir fou de découvrir tout son corps, le moindre petit morceau de sa chair, de posséder son âme. Des grands yeux gris couronnés de longs cils recourbées illuminaient son visage à l'ovale parfait. D'un pas gracieux, elle s'avança vers moi et comme un automate je lui rendis son mouchoir. Elle m'adressa alors ce « Je vous remercie Monsieur » que je perçus comme un message particulier. Insaisissable, elle s'éloignait déjà et je pus voir son corps entier...une tenue de servante le recouvrait. Était-ce pour le carnaval ? J'en doute fort car un panier de légumes l'accompagnait. C'est à ce moment précis que les paroles de mon père me revenaient, il disait que les aigles et les pigeons ne se mélangeaient pas, qu'ils ne faisaient pas partie du même monde mais j'avais justement l'impression que tous les deux, à nous tout seul, on formait déjà un monde. A en écouter mes parents, je devais immédiatement l'oublier mais comment ?Comment