Sujet d'invention Texte réaliste honore de balzac, zola, proust, hugo
La vieille comtesse de Nemours vivait désormais recluse chez elle. Son âge avancé avait eu raison de son goût d'antan si prononcé pour les soirées. Il y avait donc plusieurs années que je n'avais revu cette femme à la beauté tant célébrée, la muse de ma jeunesse à qui je m'étais, voilà bien longtemps, donné corps et âme. Cependant, elle s'était rendue au dîner organisé par sa nièce, et me causa ainsi à la fois la joie et l'émotion de la retrouver. Mais quelle surprise ! L'être qui se tenait devant moi n'était plus que le pâle reflet de la femme que j'avais tant aimée. Certes, sa robe de soie moirée, aux reflets chatoyants, bordée au col et aux poignets de volants de dentelle d'une extrême finesse, trahissait toujours la délicatesse et la sûreté de son goût. Cependant, la jeune femme aux formes épanouies et sensuelles avait cédé la place à une vieille femme, menue et fragile, comme desséchée. Elle n'avait plus rien de ce port altier de reine qui lui attirait tous les regards des femmes et faisait chavirer les cœurs des hommes, lorsqu'elle entrait dans un salon. L'expression de son regard surtout me frappa douloureusement. Ses yeux verts, jadis si vifs et pétillants, semblaient maintenant ternis. Ils étaient parfois traversés de brèves lueurs inquiètes qui reflétaient à son insu l'empreinte laissée en elle par les chagrins et les deuils qu'elle avait vécus, mais aussi par l'angoisse de la mort à venir. À la voir ainsi métamorphosée, tout en distinguant pourtant encore quelques vestiges de sa beauté naguère florissante, je ne pus m'empêcher de penser soudainement, avec une émotion toute nouvelle et un amer pincement de cœur, à Cassandre et aux vers si connus que Ronsard lui a dédiés. Oui, vraiment, la nature était une « marâtre » : semblable à la rose chantée par le poète, madame de Nemours avait elle aussi « en peu d'espace » « ses beautés laissé choir » et s'était fanée. Son visage ridé et flétri était comme parcheminé. Ses traits,