Sur "celles qu'on prend dans ses bras " henry de montherlant
Henry de Montherlant et Laclos, 7 décembre 1950
Relisant ces jours derniers la remarquable préface de M. Armand Hoog, aux Liaisons dangereuses, je me demandais ce que diraient un jour les métaphysiciens de l'amour et les stratèges de l'histoire littéraire, d'une pièce, au premier abord fort simple, mais qui ne laisse pas de révéler des perspectives inquiétantes : Celles qu'on prend dans ses bras, d'Henry de Montherlant. Quoi de plus courant que cette intrigue : un homme aime une femme qui ne l'aime pas, tandis qu'il est aimé d'une femme qu'il n'aime pas. Un peu plus, on se croirait en plein vaudeville, avec une histoire d'amour bien émouvante. Nous avons tellement perdu le goût de la simplicité, que nous trouverions cela trop facile et indigne d'un grand auteur. Mais il n'est pas besoin de solliciter les textes : la solitude atroce où se débattent tous les personnages, la haine qui crève soudain la trame du grignotement quotidien ("Moi aussi j'ai sept ans de haine qui ont leur mot à dire" : Ravier à Mlle Andriot), le côté si burlesque qui surgit comme le fou dans les pièces de Shakespeare - scène de la bergère, - cet arrière-plan, enfin, d'une ville de lucre et de stupre, d'un Paris présenté comme un coupe-gorge (et qui semble l'arrière-plan indispensable aux chefs-d'oeuvre de la littérature érotique en France), tout cela, on le devine, recouvre un thème plus secret, qu'il s'agit de mettre à jour. Ainsi, la conquête par Valmont de la présidente de Tourvel n'est qu'une histoire de couchage ; et tout le livre semble tissé d'histoires de cet acabit. Mais on voit bien que d'autres choses sont en cause, qui donnent son vrai sens à l'ouvrage : le point limite du rationalisme atteint, le déterminisme psychologique absolu va retrouver la part d'ombre, et l'angoisse de ne rien atteindre jamais, avec le marquis de Sade... Tel est le déguisement du démon qui transcende l'aventure banale