Telephone
(Le texte-support est à conserver durant toute la durée de l’épreuve)
Amélie NOTHOMB Stupeurs et tremblements
Editions Albin Michel, 1999.
La compagnie Yuminoto 1 Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saïto, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi, je n'étais la supérieure de personne. On pourrait dire les choses autrement. J'étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saïto, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques. Donc, dans la compagnie Yumimoto, j'étais aux ordres de tout le monde. Le 8 janvier 1990, l'ascenseur me cracha au dernier étage de l'immeuble Yumimoto. La fenêtre, au bout du hall, m'aspira comme l'eût fait le hublot brisé d'un avion. Loin, très loin, il y avait la ville- si loin que je doutais d'y avoir jamais mis les pieds. Je ne songeai même pas qu'il eût fallu me présenter à la réception. En vérité, il n'y avait dans ma tête aucune pensée, rien que la fascination pour le vide, par la baie vitrée. Une voix rauque finit par prononcer mon nom derrière moi. Je me retournai. Un homme d'une cinquantaine d'années, petit, maigre et laid, me regardait avec mécontentement. - Pourquoi n'aviez-vous pas averti la réceptionniste de votre arrivée ? me demandat-il. Je ne trouvai rien à répondre et ne répondis rien. J'inclinai la tête et les épaules, constatant qu'en une dizaine de minutes, sans avoir prononcé un seul mot, j'avais déjà produit une mauvaise impression, le jour de mon entrée dans la compagnie Yumimoto. L'homme me dit qu'il s'appelait monsieur Saïto. Il me conduisit à travers d'innombrables et immenses salles dans lesquelles il me présenta à des hordes de gens, dont j'oubliais les noms au fur et à mesure qu'il les énonçait. Il m'introduisit ensuite dans le bureau où siégeait son supérieur, monsieur Omochi, qui était énorme et