On le voit, assimiler la mort du politique à la libération de l'individu est une illusion, puisqu'il existe des formes de contrôle qui se veulent apolitiques, issues des sciences humaines, et qui consistent à substituer à la volonté et à l'action humaine, toujours empreintes de contingence, un mécanisme implacable; ou même à constituer l'homme en animal réactif, entièrement soumis à l'action exercée sur lui. Il ne s'agit plus d'écraser ou de sermonner l'individu, mais de le dresser par de menues et multiples procédures, de l'ordre de la "microphysique du pouvoir" (Foucault), de contrôler son corps plus que son esprit. Dans une veine rousseauiste, Alain considérait que mieux valait être confronté à la nécessité naturelle qu'à l'arbitraire, car il ne viendrait à l'esprit de personne de s'humilier pour apitoyer une loi de la nature. On ne prie un volcan de nous épargner que si on lui accorde une volonté comparable à la nôtre. Sinon, on se contente prudemment de construire sa maison plus loin. Cependant, le cas d'un mécanisme fait précisément pour nous asservir représente un autre cas de figure. Le panoptique imaginé par Bentham n'a pas d'autre fonction que de réduire le surveillé à une parfaite visibilité. Il ne dispose plus de l'opacité nécessaire pour mettre en place une riposte, une contre-stratégie. Il est transformé en objet. Les technologies du pouvoir tirent leur force de ce qu'elles ne sont pas de simples impostures idéologiques, qui donnent à un intérêt contingent l'aspect d'une nécessité naturelle, ou divine. Ce n'est pas la même chose que de croire que les machines sont faites pour soulager le labeur des ouvriers, alors qu'elles sont conçues pour accroître la productivité, et de ne pouvoir parler librement à personne, parce que chacun a intérêt à pratiquer la délation pour se nourrir ou même survivre. Cependant, les deux se recouvrent dès qu'on nous présente un ordre implacable, sans faille aucune, là où il y a en réalité place pour le choix, individuel ou