Texte de george gusdorf avec résumé
La signification du nom chez les primitifs est liée à l’être même de la chose. Le mot n’intervient pas comme une étiquette plus ou moins arbitrairement surajoutée. Il contient en soi la révélation de la chose elle-même dans sa nature la plus intime. Savoir le nom, c’est avoir puissance sur la chose. Par exemple, une peuplade primitive des Indes néerlandaises possède un système de médecine qui repose tout entier sur les noms des maladies et des remèdes. On utilisera les plantes et les substances dont le nom évoque la santé ou la guérison, on évitera celles dont le nom fait penser à la maladie, comme si en France on employait l’oeillet pour le mal à l’oeil, ou les pois pour les, patients qui désirent gagner du poids.
Le calembour devient une technique parce que le jeu de mots indique une opération au niveau même de l’être. Dans une pareille perspective, on conçoit la nécessité d’une hygiène rigoureuse, d’une prophylaxie des noms. Il importe de préserver l’identité ontologique des choses et des personnes contre l’étranger, l’ennemi. Le véritable nom sera tenu secret, puisqu’il est un mot de passe pour accéder à une vie ainsi livrée sans défense aux entreprises hostiles. Les dieux eux-mêmes sont soumis à la puissance de celui qui les invoque par leur nom. Le simple usage inconsidéré d’un mot peut entraîner des conséquences désastreuses. L’homme ou le dieu seront donc désignés, dans l’usage courant, par de faux noms inoffensifs, les noms véritables, — sauvegardés par les rites mystérieux de l’initiation, — étant réservés pour les opérations magiques et religieuses, et confiés seulement aux spécialistes, sorciers ou prêtres, hommes de l’art.
Le domaine de la magie du nom apparaît immense. Il s’étend à l’humanité primitive dans son ensemble. Il réapparaît d’ailleurs aux origines de chaque vie personnelle, car l’enfance de l’homme répète l’enfance de l’humanité. M. Piaget a décrit une période de réalisme nominal où l’enfant qui