PLATON Gorgias Socrate interroge Gorgias, célèbre professeur de rhétorique, et lui demande de définir l’objet de son art. Très imbu de lui-même et sûr de son pouvoir, Gorgias répond que l’art oratoire qu’il enseigne est tout puissant : il est « le pouvoir de persuader par ses discours les juges au tribunal, les sénateurs dans le Conseil, les citoyens dans l’assemblée du peuple et dans toute autre réunion qui soit une réunion de citoyens. Avec ce pouvoir tu feras ton esclave du médecin, ton esclave du pédotribe, et, quand au fameux financier, on reconnaîtra que ce n’est pas pour lui qu’il amasse de l’argent, mais pour autrui, pour toi qui sais parler et persuader les foules ». Socrate l’interroge alors sur la nature de la persuasion que produit la rhétorique : est-elle de l’ordre du savoir ou de l’ordre de la croyance ? SOCRATE IX. — Puis donc qu’elle n’est pas la seule à produire cet effet et que d’autres arts en font autant, nous sommes en droit, comme à propos du peintre, de demander encore à notre interlocuteur de quelle persuasion la rhétorique est l’art et à quoi s’applique cette persuasion. Ne trouves-tu pas cette nouvelle question justifiée ? GORGIAS Si. SORATE Réponds-moi donc, Gorgias, puisque tu es de mon avis. GORGIAS Je dis, Socrate, que cette persuasion est celle qui se produit dans les tribunaux et dans les autres assemblées, ainsi que je l’indiquais tout à l’heure, et qu’elle a pour objet le juste et l’injuste. SOCRATE Je soupçonnais bien moi-même, Gorgias, que c’était cette persuasion et ces objets que tu avais en vue. Mais pour que tu ne sois pas surpris si dans un instant je te pose encore une question semblable sur un point qui paraît clair et sur lequel je veux néanmoins t’interroger, je te répète qu’en te questionnant je n’ai d’autre but que de faire progresser régulièrement la discussion et que je ne vise point ta personne. Il ne faut pas que nous prenions l’habitude, sous prétexte que nous nous devinons, d’anticiper précipitamment nos pensées