Texte Thérèse desqueyroux
Texte 1 : L’incipit
L’avocat ouvrit une porte. Thérèse Desqueyroux, dans ce couloir dérobé du palais de justice, sentit sur sa face la brume et, profondément, l’aspira. Elle avait peur d’être attendue, hésitait à sortir. Un homme, dont le col était relevé, se détacha d’un platane, elle reconnut son père. L’avocat cria : «Non-lieu » et, se retournant vers Thérèse :
« Vous pouvez sortir, il n’y a personne. »
Elle descendit des marches mouillées. Oui, la petite place semblait déserte. Son père ne l’embrassa pas, ne lui donna pas même un regard ; il interrogeait l’avocat Duros qui répondait à mi-voix, comme s’ils eussent été épiés. Elle entendait confusément leurs propos :
« Je recevrai demain l’avis officiel du non-lieu.
- Il ne peut plus y avoir de surprise ?
- Non : les carottes sont cuites, comme on dit.
- Après la déposition de mon gendre, c’était couru.
- Couru… couru… On ne sait jamais.
- Du moment que, de son propre aveu il ne comptait jamais les gouttes…
- Vous savez, Larroque, dans ces sortes d’affaires, le témoignage de la victime… »
La voix de Thérèse s’éleva :
« Il n’y a pas eu de victime.
- J’ai voulu dire : victime de son imprudence, madame. »
Les deux hommes, un instant, observèrent la jeune femme immobile, serrée dans son manteau, et ce blême visage, qui n’exprimait rien. Elle demanda où était la voiture ; son père l’avait fait attendre sur la route de Budos, en dehors de la ville, pour ne pas attirer l’attention.
Ils traversèrent la place : des feuilles de platane étaient collées aux bancs trempés de pluie. Heureusement, les jours avaient bien diminué. D’ailleurs, pour rejoindre la route de Budos, on peut suivre les rues les plus désertes de la sous-préfecture. Thérèse marchait entre les deux hommes qu’elle dominait du front et qui de nouveau discutaient comme si elle n’eût pas été présente ; mais, gênés par ce corps de femme qui les séparait, ils le poussaient