Théreses desqueyroux
Elle prononce ces mots avec trop de solennité et sans espoir, –dernier effort pour que reprenne la conversation. Mais lui proteste :«N’en parlons plus...
- Vous allez vous sentir bien seul : sans être là, j’occupe une place ; mieux vaudrait pour vous que je fusse morte. »
Il haussa un peu les épaules et, presque jovial, la pria « de ne pas s’en faire pour lui ».
«Chaque génération de Desqueyroux a eu son vieux garçon ! il fallait bien que ce fût moi. J’ai toutes les qualités requises (ce n’est pas vous qui direz le contraire ?) Je regrette seulement que nous ayons eu une fille ; à cause du nom qui va finir. Il est vrai que, même si nous étions demeurés ensemble, nous n’aurions pas voulu d’autre enfant… alors, en somme, tout va bien… Ne vous dérangez pas ; restez là. »
Il fit signe à un taxi, revint sur ses pas pour rappeler à Thérèse que les consommations étaient payées.
Elle regarda longtemps la goutte de porto au fond du verre de Bernard ; puis de nouveau dévisagea les passants. Certains semblaient attendre, allaient et venaient. Une femme se retourna deux fois, sourit à Thérèse (ouvrière, ou déguisée en ouvrière ?). C’était l’heure où se vident les ateliers de couture. Thérèse ne songeait pas à quitter la place ; elle ne s’ennuyait nin’éprouvait de tristesse. Elle décida de ne pas aller voir, cet après-midi, Jean Azévédo, — et poussa un soupir de délivrance : elle n’avait pas envie de le voir : causer encore ! chercher des formules ! Elle connaissait Jean Azévédo ; mais les êtres dont elle souhaitait l’approche, elle ne les connaissait pas ; elle savait d’eux seulement qu’ils n’exigeraient guère de paroles. Thérèse ne redoutait plus la solitude. Il suffisait qu’elle demeurât immobile : comme son corps,étendu dans la lande du Midi, eût attiré les fourmis, les chiens, ici elle pressentait déjà autour de sa chair une agitation obscure, un remous. Elle eut faim, se leva, vit dans une glace d’Old