Therese desqueyroux, françois mauriac
Seigneur, ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles ! O Créateur ! peut-il exister des monstres aux yeux de celui-là seul qui sait pourquoi ils existent, comment ils se sont faits, et comment ils auraient pu ne pas se faire.... __ Charles BAUDELAIRE
Thérèse, beaucoup diront que tu n'existes pas. Mais je sais que tu existes, moi qui, depuis des années t'épie et souvent t'arrête au passage, te démasque.
Adolescent, je me souviens d'avoir …afficher plus de contenu…
Elle aspira de nouveau la nuit pluvieuse, comme un être menacé d'étouffement ; et soudain s'éveilla en elle le visage inconnu de Julie Bellade, sa grand-mère maternelle inconnu : on eût cherché vainement chez les Larroque ou chez les Desqueyroux un portrait, un daguerréotype, une photographie de cette femme dont nul ne savait rien, sinon qu'elle était partie un jour. Thérèse imagine qu'elle aurait pu être ainsi effacée, anéantie, et que plus tard il n'eût pas même été permis à sa fille, à sa petite Marie, de retrouver dans un album la figure de celle qui l'a mise au monde. Marie, à cette heure, déjà s'endort dans une chambre d'Argelouse où Thérèse arrivera tard, ce soir ; alors la jeune femme entendra, dans les ténèbres, ce sommeil d'enfant ; elle se penchera, et ses lèvres chercheront, comme de l'eau, cette vie endormie. Au bord du fossé, les lanternes d'une calèche, dont la capote était baissée, éclairaient …afficher plus de contenu…
Car un mari doit être plus instruit que sa femme ; et déjà l'intelligence de Thérèse était fameuse ; un esprit fort, sans doute... mais Bernard savait à quelles raisons cède une femme ; et puis, ce n'était pas mauvais, lui répétait sa mère : << d'avoir un pied dans les deux camps >> ; le père Larroque pourrait le servir. A vingt-six ans, Bernard Desqueyroux, après quelques voyages << fortement potassés d'avance >> en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, épouserait la fille la plus riche et la plus intelligente de la lande, peut-être pas la plus jolie, << mais on ne se demande pas si elle est jolie ou laide, on subit son charme