Théétète
I Méthodes a - Particularités du texte : Un dialogue
Ce genre littéraire apparaît d'emblée difficile à traiter. Que faire des personnages ? Faut-il morceler son explication en fonction des répliques ? Comment y retrouver la substantifique moelle philosophique ?
Pourtant, il faut écarter l'idée qu'il faudrait traiter un dialogue autrement qu'un texte de forme ordinaire. Ceci pour deux sortes de raisons, d'ordre technique et d'ordre philosophique.
- Techniquement parlant, la forme dialoguée n'exige aucun traitement particulier, puisqu'il s'agit toujours de reconstruire l'argumentation, de produire les articulations, de repérer et d'analyser des notions. Le programme type de l'explication ou du commentaire doit donc s'appliquer intégralement, sans autre forme Philosophiquement parlant, il n'y a aucune différence substantielle à établir. Platon nous le dit lui-même (Sophiste, 217 b - 218 a) : la “ méthode interrogative ” ne relève pas de l'obligation doctrinale, mais de la commodité pratique. Si l'on dispose d'un “ partenaire complaisant et docile ”, explique-t-il, la méthode “ avec interlocuteur ” est “ la plus facile ”. Si cette condition n'est pas remplie, “ mieux vaut argumenter tout seul ”. Voilà qui nous renvoie à la définition de la pensée comme dialogue de l'âme avec elle-même (Théétète, 189 e). Dans tous les cas il faut une dualité, parce que le mouvement de la pensée requiert d'abord une prise de distance à l'égard de l'apparence immédiate, puis une reprise au niveau supérieur. Ainsi se déploie l'art de “ rendre et demander raison ” qui est proprement la dialectique philosophique (République, 531 d). Il faut cependant se garder d'en déduire que la forme dialoguée doit être considérée comme un pur accident rhétorique. Au contraire, toute pensée philosophique apparaît de nature dialogale. La vérité philosophique ne se donne pas dans un discours monolithique qu'il suffirait d'apprendre comme un savoir tout fait,