Tigre des marais
Chapitre I Sûr. Elle lui avait dit: "Je serai à toi quand tu reviendras". Il entendait encore le son mélodieux de sa voix. C'était comme une chanson qu'elle eût fredonné à ses oreilles. Mikhäil Gorodine en était encore tout ému, bien que trois jours, déjà, se fussent écoulés depuis qu'il l'avait quittée. Subrepticement, il sortit un portefeuille de toile crasseux de la poche intérieure de sa vareuse. Il ne sentait pas ses doigts gourds. Il jeta un regard sur ses camarades, des hommes qui, comme lui, avaient été ramassés pour combler les vides produits par la soudaine attaque des nazis contre la Russie. Mais nul ne faisait attention à lui. D'ailleurs, il ne les connaissait pas. Ils étaient tous issus des quelques villages entourant la ville de Toula et ne s'interressaient qu'à leurs semblables. Mikhäil ouvrit le portefeuille et en tira une photographie déjà jaunie, sur laquelle posait une très jeune fille blonde. Il sourit au portrait. Et ce sourire creusa deux fossettes aux commissures de ses lèvres soulignées par une barbe naissante. Il sentit l'émotion le gagner. Des larmes lui montèrent aux yeux. Il les refoula bravement, jetant un regard étonné sur les hommes qui l'entouraient, déjà ivres de vodka et de chansons hurlées à tue-tête. Il replia avec soin le portefeuille sur l'image de l'aimée et décida d'oublier le passé. Sage résolution s'il voulait conserver toutes ses facultés afin de chasser l'Allemand de la sainte terre de Russie. - Eh ! Toi, là ! Qu'est-ce que tu fais? Viens donc boire avec nous! Des regards se portaient dans sa direction. Il se retourna pour voir s'il ne s'agissait pas de quelqu'un d'autre. -Oui, toi! Allons, amène ton quart! Il se redressa, confus de n'avoir point de quart. Il fourragea dans son sac et en sortit une boîte de conserve soigneusement lavée, fit quelques pas et se sentit entouré par une joyeuse cohorte d'hommes jeunes comme lui et résolus. Quelqu'un