Tous les matins du monde
La mort de Mme de Sainte Colombe a transformé la personnalité de son mari. Celle-ci contraste avec la vie des courtisans et de Marin Marais et consiste en un travail acharné mais méthodique au contact de la viole. Comme écarté du temps véritable, M. de Sainte Colombe s'intéresse à tout ce qui est transcendant, supérieur, éternel. C'est ainsi qu'il affirme à sa défunte femme : « Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids » (p. 80).
Bien que la mort de sa femme ait engendré un grand bouleversement dans sa vie, il garde cela profondément en lui, n'exprimant jamais ses émotions comme le montre le film d'Alain Corneau. En effet, lorsqu'il découvre sa femme sur son lit de mort, rien ne transparait de son visage si ce n'est un air grave. Homme taciturne, secret, replié sur lui-même, M. de Sainte Colombe ne se confie pas, si ce n'est avec ses objets de musique, sa viole, son cahier rouge. C'est dans ce cahier qu'il note tout ce que lui font ressentir les visitations de son épouse (p. 38). Ainsi on comprend que ces visites de Mme de Sainte Colombe invitent son mari à s'exprimer, non par les mots, mais par la musique, à dévoiler les mystères de la vie et de la mort.
II] Mme de Sainte Colombe ou l'expression du temps musical
Dans La leçon de musique, Pascal Quignard affirme que la musique est « un revenant du temps », inversant ainsi le rapport habituel à la temporalité. En quelque sorte, il affirme ainsi que le temps passé à écouter de la musique revient sur lui-même, telle une boucle. Il ne s'écoule pas, d'où le terme de « revenant ». Le temps musical serait alors un fantôme : en se repliant sur lui-même, il surgit au temps présent.
Le procédé est le même concernant Mme de Sainte Colombe. La musique de Sainte Colombe, écrite en mémoire de sa femme, permet le retour de l'épouse défunte. D'ailleurs, chaque visitation est l'occasion pour celle-ci de parler de musique,