Tout les matins du monde, les lieux de la perte.
Adapter un roman au cinéma, c'est transformer des lieux écrits, des lieux décrits, en lieux filmés, des lieux laissés à l'imagination du lecteur en lieux cadrés, éclairés, par un chef opérateur et imposés au spectateur par le réalisateur. Pour Tous les matins du monde de Quignard, le film de Corneau, au scénario duquel il sert de base, offre une adaptation plutôt fidèle du roman et augmente d'autant l'intérêt d'une question sur la fonction qu'occupent les lieux dans ces deux œuvres.
Les lieux ont tout d'abord une fonction dramatique : Ils distinguent deux parcours de vie, les parcours de Sainte Colombe et de Marin Marais et ponctuent l'action du livre et du film.
La maison des bords de Bièvre s'oppose en effet frontalement à Versailles.
Sainte Colombe, après la mort de sa femme vit reclus dans cette maison avec tourelle et hauts murs en bord de Bièvre (P.93), vend son cheval (le roman précise alors au premier chapitre qu'il fallait deux bonnes heures à pied pour joindre la cité – P. 11 – et l'Abbé Mathieu évoquera l'horreur des banlieues – P. 31 – où vit Sainte Colombe au chapitre cinq, mais avec une acception moderne du mot banlieue, inconnue au XVIIe siècle). Il s'enferme chez lui, ayant de la détestation pour Paris (P.14). Même s'il a été présenté au roi dans sa jeunesse, il a ensuite délaissé la cour malgré les demandes de Caignet et de l'Abbé Mathieu : vous direz à sa majesté que son palais n'a rien à faire d'un sauvage qui fut présenté au feu son père il y a trente-cinq ans de cela (P.26). Dans sa colère, il raillera ce palais […] plus petit qu'une cabane (P.30). Quand Sainte Colombe entraînera son élève à Paris, récupérer la toile du Dessert des Gaufrettes, Quignard peut écrire : Ce fut l'unique fois où Monsieur Marais vit son maître au-dehors de son jardin ou de sa maison. Il passait pour ne jamais les quitter. (P.58-59). Alain Corneau, dans Une Lumineuse