OROU. Quel monstrueux tissu d'extravagances tu m'exposes là! et encore tu ne me dis pas tout: car aussitôt qu'on s'est permis de disposer à son gré des idées de justice et de propriété; d'ôter ou de donner un caractère arbitraire aux choses; d'unir aux actions ou d'en séparer le bien et le mal, sans consulter que le caprice, on se blâme, on s'accuse, on se suspecte, on se tyrannise, on est envieux, on est jaloux, on se trompe, on s'afflige, on se cache, on dissimule, on s'épie, on se surprend, on se querelle, on ment; les filles en imposent à leurs parents les maris à leurs femmes; les femmes à leurs maris; des filles, oui, je n'en doute pas, des filles étoufferont leurs enfants; des pères soupçonneux mépriseront et négligeront les leurs; des mères s'en sépareront et les abandonneront à la merci du sort; et le crime et la débauche se montreront sous toutes sortes de formes. Je sais tout cela, comme si j'avais vécu parmi vous. Cela est, parce que cela doit être; et la société, dont votre chef vous vante le bel ordre, ne sera qu'un ramas ou d'hypocrites, qui foulent secrètement aux pieds les lois; ou d'infortunés, qui sont eux-mêmes les instruments de leur supplice, en s'y soumettant; ou d'imbéciles, en qui le préjugé a tout à fait étouffé la voix de la nature; ou d'êtres mal organisés, en quila nature ne réclame pas ses droits.
L'AUMONIER. Cela ressemble. Mais vous ne vous mariez donc point?
OROU. Nous nous marions.
L'AUMONIER. Qu'est-ce que votre mariage?
OROU. Le consentement d'habiter une même cabane, et de coucher dans un même lit, tant que nous nous y trouvons bien.
L'AUMONIER. Et lorsque vous vous y trouvez mal?
OROU. Nous nous séparons.
L'AUMONIER. Que deviennent vos enfants?
OROU. O étranger! ta dernière question achève de me déceler la profonde misère de ton pays. sache, mon ami, qu'ici la naissance d'un enfant est toujours un bonheur, et sa mort un sujet de regrets et de larmes. Un enfant est un bien précieux, parce qu'il doit