Un bien joli tigre
Je m’arrête au milieu du pont, sur les planches en bois noires, mouillées, glissantes. En bas, l’eau coule, très verte, lente, à cause des écluses. Plus loin, du côté de la Place de la République, le canal disparaît brusquement, il glisse sous terre comme un caramel au fond d’une poche.
Je me perche sur la pointe des pieds, le menton posé sur la rambarde. Je contemple l’eau, des feuilles mortes, parfois une branche, une planche qui tourbillonne.
– Tu regardes quoi ?
Je me retourne, surpris. J’aperçois une fillette de mon âge. Elle porte un anorak noir, un jean bleu sombre, presque noir. On croirait un garçon, sauf que ses longs cheveux sombres, mouillés, alourdis par la pluie, tombe sur ses épaules.
Elle hoche la tête en riant :
– Tu sais, j’ai horreur de mettre un capuchon, même s’il pleut !
Elle a un drôle d’accent.
Je passe ma main sur ses cheveux trempés.
– Moi aussi !
On rit ensemble. Je la trouve jolie, jolie, comme la fée de la pluie.
J’hésite, et je lui demande :
– Tu es chinoise ?
Elle secoue sa tignasse d’ébène, hausse les épaules.
– Non ! Japonaise. Je m’appelle Sonoko Watanabe. Mes parents habitent Paris, maintenant.
Elle pousse un soupir :
– Mais, à l’école, ils m’appellent tous la Chinoise… Ça m’énerve ! Je n’ai pas d’amis.
Je lui confie :
– Moi c’est pareil ! Je n’ai pas d’amis et on m’appelle le Chinois alors que je suis vietnamien. Mon nom, c’est Benjamin.
Je lui montre le quai de Jemmapes :
– J’habite là, chez les gens qui tiennent le café.
Il pleut toujours ; le pont, les deux quais, les rues semblent vides, froids. On est seuls. Elle me ressemble un peu, et j’aime lui parler, même si je la connais à peine.
Le soir tombe. La nuit traîne sur Paris, comme un grand chat noir. Sonoko s’approche de moi, me prend la main :
– Dis… Tu sais garder un secret ?
– Bien sûr !
Elle regarde autour de nous, se penche vers moi, et chuchote mystérieusement :
– Voilà : je suis… je suis un tigre…
J’ouvre de