Un roi sans divertissement
un roman policier ?
Certes on trouve ici les poncifs du genre : une atmosphère (un village isolé en proie à la peur, pp. 27-28); une énigme (des disparitions inexplicables, des taches de sang); un détective (Langlois, qui, comme Maigret ou Hercule Poirot, a l'air d'en savoir rapidement plus que tous les autres :" Je comprends tout et je ne peux rien expliquer", p. 56); du "suspense" : le criminel se laisse apercevoir (pp. 21, 32-33), laisse des signes mystérieux (les cochons entaillés "de partout", p. 22), puis disparaît. Le climat de terreur (ou d'attente) renforce encore l'intérêt du lecteur. Giono semble s'amuser à répéter ces poncifs : ainsi pp. 62-63 où l'inconnu apparaît morceau par morceau; p. 48 où le narrateur précise qu'il n'écrit pas un fait divers banal d'homme-vampire; pp. 64-74 enfin, dans la longue filature de Frédéric.
Car c'est tout autre chose que l'on devine, grâce en partie aux parenthèses ou aux incidentes, par lesquelles le narrateur, mine de rien, nous dit l'essentiel : ainsi l'atmosphère est en fait révélatrice (p. 26) des terreurs ancestrales et propres à l'humanité depuis qu'elle a quitté le soleil pour "les voûtes" (cf. p. 29). Très vite, on comprend que l'identité du criminel n'a pas d'importance (une initiale : M. V.) et que seul compte son mobile (p. 44). Le dénouement laissera le lecteur sur sa faim : pourquoi ces meurtres ? pourquoi cette exécution sommaire de M. V. par Langlois ?
une fable métaphysique ?
On songe, bien sûr, au titre, emprunté à Pascal ("Un roi sans divertissement est un homme plein de misères") et à cette morale austère où le penseur classique condamne les vaines agitations des hommes comme autant de moyens de fuir la misère de leur condition. Et en effet le narrateur évoque l'ennui des villages isolés par l'hiver (pp. 15, 53) et emploie même le mot "divertissement" (p. 57, souligné) au moment où Langlois commence à deviner que les mobiles du meurtrier peuvent