Molière complexifie le schéma de la pièce et mêle tragique, tragicomique, farce, merveilleux et burlesque. Le tragique est principalement incarné par les personnages d’Elvire et de Dom Louis, mais également par Dom Juan dans sa confrontation prométhéenne à l’au-delà. Tragique en effet est la situation d’Elvire, qui aime encore un Dom Juan, qui l’a séduite, enlevée et épousée, et n’en est plus aimée. Elle sait, malgré le désir qu’elle a de continuer à espérer, qu’elle n’a rien à attendre de lui. L’émotion et la passion affleurent dans son discours qui prend un tour déjà racinien. Le ton de Dom Louis n’est pas très différent, qui déplore d’avoir honte de ce qui a fait l’objet de tant de voeux, de prières et de chagrins. Mais Dom Juan, qui à bien des moments joue les metteurs en scène de ses interlocuteurs, ne laisse pas le tragique envahir la scène. D’un mot ironique ou cynique, il casse le ronflement d’une prose trop belle, d’une tirade trop longue et larmoyante. Ainsi dans la scène VI de l’acte IV, quand Elvire revient le voir, chargée d’un amour épuré, détaché, qui n’a plus d’autre objet que le salut de l’homme qu’elle a chéri, Dom Juan l’interrompt en s’adressant à Sganarelle d’un « tu pleures, je pense ». Il est aussi un autre tragique : celui du destin de Dom Juan, engagé dans une lutte avec Dieu, qui attire sur lui menaces et malédictions. Mais l’affrontement ne se fait pas tant dans les discours que dans une série d’actions provocatrices. Dom Juan joue cyniquement avec les paroles des autres, qui ne sont pour lui que pause et incapacité à défier la transcendance. Ainsi la rhétorique tragique est sans cesse mise à distance et relayée par d’autres registres. La pièce puise dans une tradition tragi-comique : la scène se passe en Espagne. Les personnages défendent leur honneur et ont l’épée à fleur de peau. Dom Juan est poursuivi par douze hommes armés, il rencontre Dom Carlos aux prises avec des voleurs et court à son secours. La vengeance et la mort rodent.