Une servante de ferme
« Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux, de Sassetot-la-Guerrière, pour cinquante-quatre ans de service dans la même ferme, une médaille d’argent – du prix de vingt-cinq francs ! »
« Où est-elle, Catherine Leroux ? » répéta le Conseiller.
Elle ne se présentait pas, et l’on entendait des voix qui chuchotaient :
-vas-y !
-Non
-À gauche !
-N’aie pas peur !
-Ah ! qu’elle est bête !
-Enfin y est-elle ? s’écria Tuvache.
-Oui !... la voilà !
-Qu’elle approche donc !
Alors on vit s’avancer sur l’estrade une petite vielle femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré d’un béguin sans bordure, étais plus plissé de rides qu’une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière des granges, la potasse de lessives et le suint des laines les avaient si bien encroûtées, écaillées, durcies, qu’elles semblaient sales quoiqu’elles fussent rincées d’eau claire ; et, à force d’avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrance subies. Quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure. Rien de triste ou d’attendri n’amollissait ce regard pâle. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C’était la première fois qu’elle se voyait au milieu d’une compagnie si nombreuse ; intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et pas le croix d’honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les