Verhaeren - les usines, in les villes tentaculaires
Automatiques et minutieux,
Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement
D'universel tictacquement
Qui fermente de fièvre et de folie
Et déchiquette, avec ses dents d'entêtement,
La parole humaine abolie.
Plus loin, un vacarme tonnant de chocs
Monte de l'ombre et s'érige par blocs ;
Et, tout à coup, cassant l'élan des violences,
Des murs de bruit semblent tomber
Et se taire, dans une mare de silence,
Tandis que les appels exacerbés
Des sifflets crus et des signaux
Hurlent soudain vers les fanaux,
Dressant leurs feux sauvages,
En buissons d'or, vers les nuages.
Et tout autour, ainsi qu'une ceinture,
Là-bas, de nocturnes architectures,
Voici les docks, les ports, les ponts, les phares
Et les gares folles de tintamarres ;
Et plus lointains encor des toits d'autres usines
Et des cuves et des forges et des cuisines
Formidables de naphte et de résines
Dont les meutes de feu et de lueurs grandies
Mordent parfois le ciel, à coups d'abois et d'incendies.
Emile Verhaeren (1855-1916) Les Villes tentaculaires (1895).
Introduction.
Emile Verhaeren, est né à Saint-Amand dans la province d'Anvers le 21 mai 1855. Il est un poète flamand d'expression française. Après l'une de ces conférences à Rouen, il mourut accidentellement le 27 novembre 1916 ayant été poussé par la foule, nombreuse, sous les roues d'un train qui partait de la gare de Rouen. Ce poète né en 1855 et décédé en 1916 a vécu lors d’une période charnière entre le XIXème siècle et le XXème siècle. On distingue deux grandes périodes dans son oeuvre.
La première période se caractérise par sa fermeture au monde. A travers des livres noirs (Les Soirs, 1887, Les Débâcles, 1888, Les Flambeaux noirs, 1890) Verhaeren exprime la mort, la folie, le désespoir liés à la période instable, de mutation. C’est une période de grand vent fou (cf.
Nietzsche, Van Gogh).
La deuxième période se caractérise par son ouverture au monde.