Victor hugo dernier jour d'un condamné
LE DERNIER JOUR
D’UN CONDAMNÉ
Paris, Gosselin, 1829
É
d it io n d u g ro u p e
«
E b o o k s li b re s et g ra tu it s
»
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I
Bicêtre Condamné à mort ! Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids ! Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme.
Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son …afficher plus de contenu…
Trois jours. Le matin du quatrième jour, le substitut du procureur gé- néral se dit, en mettant sa cravate : – Il faut pourtant que cette affaire finisse. – Alors, si le substitut du greffier n’a pas quelque déjeuner d’amis qui l’en empêche, l’ordre d’exécution est minu- té, rédigé, mis au net, expédié, et le lendemain dès l’aube on entend dans la place de Grève clouer une charpente, et dans les carrefours hurler à pleine voix des crieurs enroués.
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En tout six semaines. La petite fille avait raison. Or, voilà cinq semaines au moins, six peut-être, je n’ose compter, que je suis dans ce cabanon de Bicêtre, et il me semble qu’il y a trois jours, c’était jeudi.
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IX
Je viens de faire mon …afficher plus de contenu…
Un incident inattendu vint, comme à point nommé, changer cette humiliation en torture. Jusqu’alors le temps avait été assez beau, et, si la bise d’octobre refroidissait l’air, de temps en temps aussi elle ouvrait çà et là dans les brumes grises du ciel une crevasse par où tom- bait un rayon de soleil. Mais à peine les forçats se furent-ils dé- pouillés de leurs haillons de prison, au moment où ils s’offraient nus et debout à la visite soupçonneuse des gardiens, et aux re- gards curieux des étrangers qui tournaient autour d’eux, pour examiner leurs épaules, le ciel devint noir, une froide averse d’automne éclata brusquement, et se déchargea à torrents