Voltaire cannibalisme
Paradoxalement pourtant, le mouvement de structuration textuelle ici à l’œuvre révèle une stratégie systématiquement indirecte. La violence polémique ne se contente que rarement d’une confrontation indignée du credo théiste voltairien aux scandales idéologiques de la superstition et du fanatisme. Face à l’objet qu’il vise, Voltaire pratique le décentrement plutôt que la contradiction ; il absorbe le discours de l’Autre dans le sien propre. La violence surgit de l’intérieur du discours ; elle est l’irruption du réel au cœur de la loi que le satiriste vise. La stratégie dévoile alors ses raisons : pour Voltaire, il n’y a pas de dehors symbolique, de cadre idéologique externe où s’appuyer ; on ne peut penser l’alternative symbolique que de l’intérieur de l’ancienne loi, dont le judaïsme figure l’irritante et indéracinable persistance. Le nouveau modèle proposé recycle donc l’ancien objet absorbé, l’ancienne loi violentée. Cependant la figure du père qui se recompose alors ne conquiert pas sans peine une légitimité que la dérision de sa forme primitive avait sapée. Le bricolage idéologique voltairien apparaît travaillé par un vide intérieur, un manque fondateur qui fascine et même, parfois, angoisse. Cet espace du manque est celui de la foi et de la métaphysique, que la raison du Dictionnaire tout à la fois s’interdit d’élucider et ne peut s’empêcher, inlassablement, de parcourir.
On ne s’attachera ici qu’à l’un des phénomènes caractéristiques de la poétique voltairienne que nous venons d’esquisser à grands traits : c’est la pratique généralisée d’absorption de l’objet. En effet, l’article de dictionnaire suppose un objet que le texte se donne