Voyage au bout de la nuit
Voyage au bout de la nuit, un roman de la compassion démocratique ?
Si nous relisions Voyage au bout de la nuit à nouveaux frais ? Si nous envisagions que Céline, dans ce roman, se livre à une expérience de narration qui est aussi une mise à l’épreuve des valeurs déclarées de la démocratie et de la République[1]? Le laboratoire romanesque ne lui permet-il pas en effet de soumettre le personnage-narrateur, Bardamu, à une initiation au nom de laquelle on a pu rapprocher Voyage au bout de la nuit de Candide[2], mais aussi à une émotion de l’humain ? C’est cette émotion que nous interrogerons ici, en proposant plus précisément pour hypothèse de lecture la clef de la compassion démocratique. Le roman célinien, avec ce qu’il doit aux romans populistes et ce qu’il corrige de leur esthétique et de leur éthique, occupe une place particulière, non seulement en vertu du parfum de scandale dont la suite des œuvres céliniennes allait l’affecter, mais surtout eu égard aux chances perdues et aux paris dédaignés qu’il re-présente à la conscience de ses lecteurs. Ces lecteurs, dans la mesure où le temps de la diégèse de la fin du livre coïncide avec le temps de l’écriture - et donc de la lecture-, sont aussi les concitoyens de son auteur.
Le contexte historico-poétique du Voyage : le roman des années 30
Voyage au bout de la nuit fait une irruption tonitruante sur la scène littéraire en 1932. Roman-cri contre la décadence, discrédité par le bellicisme, la colonisation, l'exploitation ouvrière, le taylorisme, la déshumanisation des banlieues, il ne s’inspire pas simplement de la thèse de l’essai de Spengler, Le Déclin de L'Occident (1918-1922). Il renvoie à Barbusse pour la critique du capitalisme et de la logique de guerre, Barbusse dont Céline a admiré Le Feu, publié en 1925. Il fait signe à Dabit : Céline s'adresse à Denoël parce qu'il a été édité Hôtel du Nord. On a d’ailleurs pu interpréter