C Line Et Le Fordisme
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Et j’ai vu en effet des grands bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin, dans lesquelles on discernait des hommes à remuer, mais remuer à peine, comme s’ils ne se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi d’impossible. C’était ça Ford ? Et puis tout autour et au-dessus jusqu’au ciel un bruit lourd et multiple et sourd de torrents d’appareils, dur, l’entêtement des mécaniques à tourner, rouler, gémir, toujours prêtes à casser et ne cassant jamais.
« C’est donc ici que je me suis dit… C’est pas excitant… ». C’était même pire que tout le reste. Je me suis approché de plus près, jusqu’à la porte où c’était écrit sur une ardoise qu’on demandait du monde.
J’étais pas le seul à attendre. Un de ceux qui patientaient là m’a appris qu’il y était lui depuis deux jours, et au même endroit encore. Il était venu de Yougoslavie, ce brebis, pour se faire embaucher. Un autre miteux m’a adressé la parole, il venait bosser qu’il prétendait, rien que pour son plaisir, un maniaque, un bluffeur.
Dans cette foule presque personne ne parlait l’anglais. Il s’épiaient entre eux comme des bêtes sans confiance, souvent battues. De leur masse montait l’odeur d’entrejambes urineux comme à l’hôpital. Quand ils vous parlaient on évitait leur bouche à cause que le dedans des pauvres sent déjà la mort.
Il pleuvait sur notre petite foule. Les files se tenaient comprimées sous les gouttières. C’est très compressible les gens qui cherchent du boulot. Ce qu’il trouvait de bien chez Ford, que m’a expliqué le vieux Russe aux confidences, c’est qu’on y embauchait n’importe qui et