J'ai tué anémie lothomb
The paths of glory lead but to the grave. Thomas Gray I OBSCUR ET MECONNU
Tout avait commencé en pleine nuit, sur une route déserte. J’étais au volant d’une Renault 5 antédiluvienne (1) et je me dirigeais vers le chalet de Maryse Bernadac, mon éditrice. Pendant que je conduisais, je me demandais non sans inquiétude si Une saison dans les ténèbres que venaient de publier les éditions Condorcet ne passerait pas aussi inaperçu que mes précédents romans. J’y avais consacré trois longues années de travail, trois longues années à travailler avec Maryse, à revenir sur chaque paragraphe, sur chaque phrase, sur chaque virgule, de manière à créer une atmosphère et un rythme de lecture tels qu’on ne pourrait le lâcher avant d’être arrivé à la fin. Maryse fut satisfaite du résultat et, chez Condorcet, on se montrant tout à fait confiant.
Quant à moi, je ne doutais pas que mon livre connaîtrait un grand succès.
La désillusion fut cruelle : les articles qui devaient rendre compte de l’ouvrage se firent attendre et, finalement, ne vinrent jamais. Sur les six cents ou sept cents romans de la rentrée, seuls les auteurs connus avaient eu droit à l’attention des médias. Quelques anonymes aussi, pour des raisons que j’ignorais et qui souvent n’avaient rien à voir avec la qualité de leurs écrits. Mais, pour ce qui me concernait, rien, pas un mot dans la presse.
De ce silence, j’avais fait les frais au Salon du Livre de Saint –D. Pendant des heures, j’avais affronté l’indifférence des visiteurs à qui mes ouvrages ne disaient rien. Parfois, leurs regards s’attardaient sur Une saison dans les ténèbres, dont le titre, l’illustration ( sur fond noir, on distinguait un visage noyé dans la fumée de cigarette) ou le nom de l’auteur intriguait.
« Antoine Galoubet ? Jamais entendu parler de vous ! Ah, c’est votre dixième roman ! » s’étonnait – on.