L'illusion comique
Le metteur en scène italien Giorgio Strehler (1921-1997) évoque les perspectives qui ont guidé sa mise en scène de L'Illusion comique au théâtre de l'Odéon à Paris, en 1984. Strehler, qui a choisi le texte original de 1639, mais a adopté le titre de 1660, L'Illusion, utilise une comparaison avec une autre pièce du répertoire, La Tempête de Shakespeare, pour expliquer son interprétation de l'oeuvre de Corneille.
Rien n'est resté hors de notre responsabilité, de notre histoire, pas même cette illusion de Corneille, choisie pour inaugurer le théâtre de l'Europe, et qui ouvre maintenant sa seconde saison. Ce spectacle, lui aussi, naît peut-être de l'illusion que le travail de théâtre puisse encore servir à quelque chose pour l'homme. [...]
L'iridescence1 de la poésie et le mystère de l'homme ne peuvent pas être approchés de trop près. Aussi suffirait-il de restituer un peu de cette noncouleur, de cette lumière-ombre, de cette musique-silence du chef-d'œuvre qui émanent de L'Illusion de Corneille pour accomplir pleinement notre devoir d'interprètes et d'artistes. Pour le reste, avons-nous simplement réussi à donner aux gens au moins une étincelle de ce que nous avons cru comprendre et voir dans L'Illusion ? Rarement une entreprise s'est révélée plus difficile, plus tourmentée. Une, plus que les autres, me revient à l'esprit : La Tempête de Shakespeare. Dans cette œuvre nous nous trouvions devant une tragédie cosmique, nous sommes devant la profondeur abyssale des sentiments des hommes, devant l'ambiguïté suprême de l'Amour humain. Dans l'île de La Tempête, nous découvrions l'histoire du monde, de l'esclavage, de la liberté avec celle du théâtre. Dans L'Illusion on avance dans la pénombre des âmes, images de quelque chose d'autre, projetées sur les murs d'une caverne (celle de Platon ?) ; on parle plus bas, et l'on murmure des choses grandissimes sur les hommes, les femmes, la vie, l'être et le paraître, et