L'épistolaire
Textes :
Texte A - Madame de Sévigné, Lettre à Madame de Grignan, 4 mars 1671
Texte B - Voltaire, Lettre à Frédéric II, 26 août 1736.
Texte C - Voltaire, Lettre à Madame Denis, 6 novembre 1750.
Texte D - Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, 16 septembre 1853.
Texte A - Madame de Sévigné, Lettre à Madame de Grignan, 4 mars 1671.
[Madame de Sévigné répond à sa fille. En 1671, au cours d'un voyage en Avignon, Madame de Grignan faillit mourir en traversant le Rhône. Le pont d'Avignon avait été rompu deux ans auparavant, en 1669, d'où la nécessité de traverser le Rhône en barque, avec le danger d'être jeté sur une arche par le courant et par le mistral, vent très violent dans la région.]
Ah ! ma bonne1, quelle lettre ! quelle peinture de l'état où vous avez été ! et que je vous aurais mal tenu ma parole, si je vous avais promis de n'être point effrayée d'un si grand péril ! Je sais bien qu'il est passé. Mais il est impossible de se représenter votre vie si proche de sa fin, sans frémir d'horreur. Et M. de Grignan vous laisse conduire la barque; et quand vous êtes téméraire, il trouve plaisant de l'être encore plus que vous; au lieu de vous faire attendre que l'orage fût passé, il veut bien vous exposer2, et vogue la galère ! Ah mon Dieu ! qu'il eût été bien mieux d'être timide, et de vous dire que si vous n'aviez point de peur, il en avait, lui, et ne souffrirait point que vous traversassiez le Rhône par un temps comme celui qu'il faisait ! Que j'ai de la peine à comprendre sa tendresse en cette occasion ! Ce Rhône qui fait peur à tout le monde ! Ce pont d'Avignon où l'on aurait tort de passer en prenant de loin toutes ses mesures ! Un tourbillon de vent vous jette violemment sous une arche ! Et quel miracle que vous n'ayez pas été brisée et noyée dans un moment ! Ma bonne, je ne soutiens3 pas cette pensée, j'en frissonne, et m'en suis réveillée avec des sursauts dont je ne suis pas la maîtresse. Trouvez-vous