L'absurde
En 1935, il avait fondé une troupe d’amateurs, le ‘’Théâtre du Travail’’, qui voulait toucher le public ouvrier, puis, en 1937, une autre, le ‘’Théâtre de I'Équipe’’, dont le «manifeste» disait qu’il «demandera aux oeuvres la vérité et la simplicité, la violence dans les sentiments et la cruauté dans I'action». On croit entendre Antonin Artaud, et peut-être Camus avait-il lu, mais on I'ignore, le roman que celui-ci avait publié en 1934, ‘’Héliogabale ou l’anarchiste couronné’’ (un empereur romain fou), et qui annonçait son «théâtre de la cruauté». Il adapta et mit en scène ‘’Les frères Karamazov’’ de Dostoïevski (où il jouait le rôle d'lvan, I'intellectuel athée, le nihiliste qui file vers la folie après avoir incité à tuer le père). Il traduisit ‘’Othello’’ de Shakespeare (où le mécanisme incontrôlable de la passion conduit à la tragédie de la jalousie aveugle). En 1936, il lut ‘’La vie des douze Césars’’ de Suétone où l’empereur Caligura lui apparut comme un tyran d'une espèce relativement rare, c'est-à-dire un tyran intelligent, aux mobiles à la fois singuliers et profonds, le seul à avoir tourné en dérision le pouvoir lui-même. En lisant I'histoire de ce grand et tragique empereur histrion, il le voyait déjà sur une scène. Il nota dans ses carnets qu'il projetait d'écrire ‘’Caligula’’ pour la troupe du ‘’Théâtre de l’Équipe’’.
La première esquisse de la pièce datait de 1937, alors qu’il avait vingt-quatre ans : elle était lyrique, nietzschéenne et ambiguë.
En 1939, il avait terminé une première version qui suivait de près le texte de Suétone, mais portait aussi la marque de ses préoccupations, était presque romantique, très mélancolique, car il s’identifiait complètement à Caligula et envisageait de tenir lui-même le rôle. Comme sa santé était alors précaire, et qu’il savait d'expérience ce que représente un amour de la vie, une fureur de vivre qui voudrait ne pas avoir de limites