L'affaire dreyfus
Selon un bruit largement répandu, que reprend l’historien Armand Israël, il ne fait aucun doute que si Dreyfus n’avait pas été concerné par l’affaire éponyme, il aurait été antidreyfusard. Bien que récusée par de nombreux autres historiens, cette assertion illustre la grande complexité de cette fameuse intrigue qui, d’abord confinée au milieu militaire, va frapper la France dans sa quasi-totalité et la fracturer en deux camps distincts : dreyfusards et antidreyfusards, ainsi que le représente la célèbre caricature de Caran d’Ache. Mais en quoi peut-on réellement dire que l’affaire Dreyfus-qui commence en 1894 avec l’arrestation et la condamnation pour haute trahison du capitaine Alfred Dreyfus et qui s’achève lors de sa réhabilitation finale en 1906-a divisé la France ? Quelles lignes démarquent les défenseurs de l’officier israélite injustement condamné de ceux qui estiment qu’il est coupable ou que sa peine ne doit pas être levée ? Quels motifs président à ces divisions, et comment celles-ci se manifestent-elles ? Il a souvent été dit que l’Affaire opposait d’un côté une France républicaine, laïque, attachée à la justice et aux droits de l’homme, à une autre France militariste, catholique, traditionaliste et antirépublicaine. Ce schéma, s’il peut dans l’ensemble être validé, est cependant loin d’être suffisant pour expliquer une division très complexe qui s’articule autour de plusieurs points définis, rendant impossible une délimitation uniforme qui séparerait dreyfusards et antidreyfusards. Afin de rendre les faits de manière pertinente, nous avons décidé de nous concentrer sur la nature de l’Affaire et son impact sur les représentations que s’en font les Français, sans pour autant négliger le contexte particulier d’apparition de celle-ci. Nous étudierons donc en quoi les grandes institutions qui structurent la société française à la fin du XIXème siècle polarisent les tensions(I), en