L'albatros
André Durand présente
‘’L’albatros’’
sonnet de Charles BAUDELAIRE
dans
‘’Les fleurs du mal’’
(1857)
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer : Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Commentaire
Avec ce poème, Baudelaire reprit l’idée, chère aux romantiques, du génie méprisé, du poète incompris et solitaire.
Pour Chateaubriand, les poètes étaient des «chantres de race divine». Pour Vigny, le poète était en butte à la société matérialiste pour laquelle il est un égaré, un être inutile (dans “Stello”, “Chatterton”). Pour Hugo, le poète a une mission civilisatrice, il doit guider les peuples : il est l’annonciateur de l’avenir dans “Fonction du poète” ; il est un mage dans “À l’homme”. Pour Musset, le poète est un être souffrant qui offre sa poésie, issue de sa souffrance, au public avide (“La nuit de mai”). Gautier accordait aussi une valeur esthétique à la souffrance. C’est ainsi qu’en conséquence, pour Baudelaire, le poète, foncièrement différent des autres êtres humains parce qu’il aspire à l’idéal, n’est pas fait pour vivre sur la Terre, pour se mêler à une société vouée à l’utilité et qui ne voit dans la poésie qu’enfantillages.
En 1861, dans la seconde édition du recueil “Les fleurs du mal”, ‘’L’albatros’’