L'argent chez voltaire
Il est beau d’approfondir un sujet qu’on méprise.
ARGENT. Mot dont on se sert pour exprimer de l’or. « Monsieur, voudriez-vous me prêter cent louis d’or ? — Monsieur, je le voudrais de tout mon cœur ; mais je n’ai point d’argent; je ne suis pas en argent comptant. » L’Italien vous dirait : « Signore, non ho di danari. » Je n’ai point de deniers. Harpagon demande à maître Jacques1 : « Nous feras-tu bonne chère? — Oui, si vous me donnez bien de l’argent. » On demande tous les jours quel est le pays de l’Europe le plus riche en argent: on entend par là quel est le peuple qui possède le plus de métaux représentatifs des objets de commerce. On demande par la même raison quel est le plus pauvre; et alors trente nations se présentent à l’envi, le Vestphalien, le Limousin, le Basque, l’habitant du Tyrol, celui du Valais, le Grison, l’Istrien, l’Écossais, et l’Irlandais du nord, le Suisse d’un petit canton, et surtout le sujet du pape. Pour deviner qui en a davantage, on balance aujourd’hui entre la France, l’Espagne, et la Hollande, qui n’en avait point en 1600. Autrefois, dans le XIIIe, XIVe et XVe siècle, c’était la province de la daterie2 qui avait sans contredit le plus d’argent comptant; aussi faisait-elle le plus grand commerce. « Combien vendez-vous cela ? » disait-on à un marchand. Il répondait: « Autant que les gens sont sots. » Toute l’Europe envoyait alors son argent à la cour romaine, qui rendait en échange des grains bénits, des agnus, des indulgences plénières ou non plénières, des dispenses, des confirmations, des exemptions, des bénédictions, et même des excommunications contre ceux qui n’étaient pas assez bien en cour de Rome, et à qui les payeurs en voulaient. Les Vénitiens ne vendaient rien de tout cela; mais ils faisaient le commerce de tout l’Occident par Alexandrie; on n’avait que par eux du poivre et de la cannelle. L’argent qui n’allait pas à la daterie venait à eux, un peu aux Toscans et aux Génois. Tous les autres