L'armee furieuse 2011
FRED VARGAS
L’ARMÉE FURIEUSE
2011
Éditions Viviane Hamy
2
I
Il y avait des petites miettes de pain qui couraient de la cuisine à la chambre, jusque sur les draps propres où reposait la vieille femme, morte et bouche ouverte. Le commissaire Adamsberg les considérait en silence, allant et venant d’un pas lent le long des débris, se demandant quel Petit Poucet, ou quel Ogre en l’occurrence, les avait perdues là. L’appartement était un sombre et petit rez-de-chaussée de trois pièces, dans le 18e arrondissement de Paris. Dans la chambre, la vieille femme allongée. Dans la salle à manger, le mari. Il attendait sans impatience et sans émotion, regardant seulement son journal avec envie, plié à la page des mots croisés, qu’il n’osait pas poursuivre tant que les flics étaient sur place. Il avait raconté sa courte histoire : lui et sa femme s’étaient rencontrés dans une compagnie d’assurances, elle était secrétaire et lui comptable, ils s’étaient mariés avec allégresse sans savoir que cela devait durer cinquante-neuf ans. Puis la femme était morte durant la nuit. D’un arrêt cardiaque, avait précisé le commissaire du 18 e arrondissement au téléphone. Cloué au lit, il avait appelé Adamsberg pour le remplacer. Rends-moi ce service, tu en as pour une petite heure, une routine du matin. Une fois de plus, Adamsberg longea les miettes. L’appartement était impeccablement tenu, les fauteuils couverts d’appuie-tête, les surfaces en plastique astiquées, les vitres sans trace, la vaisselle faite. Il remonta jusqu’à la boîte à pain, qui contenait une demi-baguette et, dans un torchon propre, un gros quignon vidé de sa mie. Il revint près du mari, tira une chaise pour s’approcher de son fauteuil. — Pas de bonnes nouvelles ce matin, dit le vieux en détachant les yeux de son journal. Avec cette chaleur aussi, ça fait bouillir les caractères. Mais ici, en rez-de-chaussée, on peut 3
garder le frais. C’est pour ça que je laisse les volets fermés. Et il faut boire,