L'art et notion d'immortalité
Pourtant, l’œuvre d’art aussi, en tant qu'objet matériel, peut se détériorer et se détruire. C'est pourquoi Arendt précise qu’elle est «potentiellement» immortelle. L'immortalité de l'œuvre est une immortalité de principe. Si elle échappe au temps, c'est qu'elle n'est liée ni à une personne, ni à une époque, ni à une culture particulière.
On serait tenté de rapprocher cette idée de celle, plus classique, de l'universalité de l'œuvre d'art. Mais Arendt se situe sur un plan plus pratique: les œuvres d’art durent parce qu'elles ne servent à rien. «Elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d'utilisation». Les ready-made de Duchamp, justement parce que ce sont initialement des objets d’usage, illustrent parfaitement ce processus de mise à l'écart délibérée de la fonction. L'urinoir, la pelle à neige, le porte-bouteille de Duchamp, en tant que tels, sont des objets techniques qui ont un usage. Mais c'est précisément la mise à l'écart de cet usage potentiel qui permet à ces objets d'être considérés pour leur valeur esthétique et non pour leur utilité pratique. C'est la raison pour laquelle uriner dans l'urinoir de Duchamp comme l'a fait, lors d'une exposition en 1993, Pierre Pinoncelli - un artiste contestataire se revendiquant du mouvement dada - est inapproprié.
Si durable soit-il, l'objet d'usage est condamné à tomber en désuétude. Il ne résiste pas indéfiniment aux assauts du temps parce qu'il perd sa valeur s'il n'est plus utilisé et il cesse inévitablement d’être utilisé s’il est usé ou obsolète. Au contraire, l'œuvre d'art, n'ayant aucune fonction en tant qu'oeuvre d'art , ne perd jamais sa valeur. Si elle dure,