L'art francais de la guerre
«Qu’est-ce qu’un héros ? Ni un vivant ni un mort, un être qui pénètre dans l’autre monde et qui en revient.» À la lumière de cette citation de Pascal Quignard, on mesure mieux la personnalité du capitaine Victorien Salagnon, personnage central et ambigu de ce gros roman, et le dialogue qu’il noue avec un jeune homme désoeuvré, reclus dans la banlieue lyonnaise, qui passe son temps à trafiquer ses arrêts de travail, à faire l’amour, à boire et à regarder des films de guerre. L’ex-parachutiste raconte avec un mélange d’horreur et de pudeur, à son cadet fasciné, les conflits où il a servi. En échange, il l’initie au maniement de l’encre.
L’Art français de la guerre : un titre bien rébarbatif, où Alexis Jenni, né en 1963, et dont c’est le premier ouvrage, parcourt vingt-neuf ans de colonisation française. L’Indochine, le Viêtnam, l’Algérie. On pourrait croire à une réflexion sur l’absurdité des conquêtes, si l’auteur ne portait son récit à des hauteurs spirituelles, avec un style parfait d’équilibre. Il va plus loin que Camus, lequel n’envisageait pas une Algérie non française.
Les guerres de colonisation ont fait couler autant d’encre que de sang. C’est à l’encre que s’attache l’ex-officier. Celle dont il tirait, sur le papier, entre deux coups de canon, la pureté que la confusion générale interdisait. Celle qui noircit les Mémoires du général de Gaulle, baptisé «le Romancier», champion du mentir-vrai, quand il travestit ce qui gêne et passe sous silence ce qui dérange. De Gaulle est le plus grand menteur de tous les temps, mais il l’était comme mentent les romanciers. Il construisit par son verbe, pièce à pièce, la légende dont nous avions besoin pour habiter le XXe siècle». De Gaulle menteur ? Avant mai 1968, il avait écrit que l’Algérie française était une utopie ; quand il a constaté à Alger l’immense ferveur des pieds-noirs et la possibilité