L'art transforme-t'il notre conscience du réel ?
Se demander si l'art modifie notre conscience du réel est en apparence plus modeste, puisqu'il s'agirait de repérer, non une fonction, mais un effet : l'art, par sa seule présence, suffirait à transformer la conscience. N'est-ce pas ce que révèlent la méfiance qu'il suscite dans la philosophie, ou le contrôle que les régimes totalitaires veulent lui imposer ? Si l'on admet que toute image est dotée d'un pouvoir, l'art, même s'il n'est pas qu'images, paraît en mesure de modifier notre conscience du réel.
1. La conscience habituelle du monde ambiant
Selon Husserl, l'intentionnalité est ce qui définit le rapport de la conscience au monde. Entendons par là que la conscience vise toujours quelque chose comme étant ceci ou cela, cette visée préalable étant ensuite confirmée ou infirmée par un donné intuitif, c'est-à-dire une perception. Pour qu'il y ait conscience de quelque chose, il ne suffit pas qu'un objet et qu'un sujet soient simplement présents ensemble : il faut préalablement que la conscience puisse se rapporter à l'objet sur le mode de la visée, c'est-à-dire qu'il faut que l'objet fasse sens pour la conscience qui le vise. Victor, l'enfant sauvage de l'Aveyron, n'entendait pas un coup de feu tiré dans son dos, parce que ce son n'avait pour lui aucune signification : toute conscience est conscience d'un sens d'abord constitué, que l'intuition vient ensuite remplir. En d'autres termes, avoir conscience qu'il y a un arbre là dehors, c'est viser ce qu'il y a dehors comme étant un arbre, la perception venant ensuite confirmer ou non l'intention (« c'est bien un arbre » ou « non, ce n'est pas un arbre »).
C'est pour cette raison que Heidegger, dans son analyse du monde ambiant, celui de la réalité quotidienne, affirme que nous nous rapportons à chaque chose sur le mode de l'utilité : avoir conscience qu'il y a un marteau posé sur l'établi, c'est pouvoir viser le marteau en tant qu'il a une signification déterminée, et la signification du