L'art transforme-t-il notre conscience du réel ?
L'homme est l'être qui a interposé un monde d'objets entre lui et la nature. Ainsi, rien ou presque de la réalité qui nous entoure n'est « naturel » : outre les instruments qui remplissent notre quotidien et qui sont autant de productions humaines, tout porte en fait la trace de la main de l'homme, si tant est que le paysage de campagne lui-même est le résultat d'un long processus d'aménagement et de culture. Or, parmi toutes les productions qui peuplent notre monde, nous en distinguons certaines, que nous élevons à la hauteur d'œuvres d'art, en les différenciant des simples objets d'usage. Sans doute faut-il admettre que notre rapport aux œuvres n'est pas similaire à notre rapport aux objets ; sans doute aussi la finalité des œuvres n'est-elle pas identique à celle des objets. Mais même en admettant que de telles distinctions vont de soi (ce qui n'est pourtant pas le cas), autre chose est de dire que l'œuvre n'est pas repliable sans reste sur l'objet quotidien, autre chose d'affirmer que la présence des œuvres modifie notre perception des objets eux-mêmes. Alors, l'art transforme-t-il notre conscience du réel ? En quoi la contemplation d'une statue ou d'un tableau pourrait-elle modifier de quelque manière que ce soit la façon dont je me rapporte au monde qui m'entoure en général ? La difficulté est d'autant plus grande, qu'elle semble venir contester la distinction sur laquelle nous faisons fond : si les œuvres sont qualitativement distinctes des objets, si notre rapport à elles est propre et n'a rien à voir avec notre rapport aux objets, comment la contemplation des œuvres pourrait-elle bien modifier notre conscience du réel ? En d'autres termes, si nous n'avons justement pas conscience des œuvres comme de réalités parmi d'autres, et si le statut spécifique des œuvres tient à cette différence, comment l'art pourrait-il modifier notre rapport à ce qu'il n'est pas, et qu'il n'est pas absolument ?
Sans doute faudra-t-il commencer par interroger un tel