L'assommoir de zola
C’est un extrait constituant l’ouverture de L’Assommoir, c'est à dire qu’il doit tenir compte de certaines contraintes propres à un début de roman (fournir les informations et les repères nécessaires au lecteur). On étudiera donc comment Zola met ici en œuvre les règles de l’incipit romanesque. La nécessité de procurer des indications au lecteur est aussi une exigence caractéristique du roman naturaliste qui veut que le narrateur s’efface et donne l’impression que les faits sont livrés en toute objectivité. Cette ouverture est remarquable par la place qu’elle accorde à la description : celle-ci marque l’effacement du narrateur au profit d’une délégation de point de vue du personnage, de plus, elle crée un horizon au lecteur en laissant attendre un récit conforme aux canons naturaliste. Enfin, cet incipit naturaliste annonce d’emblée une belle place aux éléments symboliques.
Lecture du texte Gervaise avait attendu Lantier jusqu'à deux heures du matin. Puis, toute frissonnante d'être restée en camisole à l'air vif de la fenêtre, elle s'était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, il l'envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu'il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu'elle guettait son retour, elle croyait l'avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d'une nappe d'incendie la coulée noire des boulevards extérieurs; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte. Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il découchait.