L'homme, ou la raison
Comment l’homme, que la tradition philosophique et religieuse occidentale définit comme animal rationale, pourrait-il rejeter la raison sans se nier lui-même ? Et comment, dans cette perspective, penser la haine de la raison autrement que comme une dégénérescence de l’être humain ? On éprouve en effet quelque difficulté à concevoir qu’une pareille attitude puisse être le fait d’un sujet raisonnable. Et si la raison n’était pas ce qui réalise l’homme mais ce qui l’oppresse ou le corrompt? Le cas échéant, il faudrait voir la haine de la raison comme une attitude réactionnaire visant à libérer l’homme du joug de la raison.
Mais quelle autre puissance pourrait prendre le relais de la rationalité ? Tout effort d’ir-rationalisation, dès qu’il se voudrait systématique, n’est-il pas voué à s’autodévorer ou à caricaturer la rationalité ? On est, semble-t-il renvoyé aux “deux excès”, dont parle Pascal, “exclure la raison et n’admettre que la raison” (Pensées, 183, Laf.). Et il faut alors penser la haine de la raison comme une réaction excessive aux excès du rationalisme. L’inconséquence majeure du rationalisme n’est-elle pas une foi déraisonnable en la raison ?
C’est bien cette survalorisation qui est à l’origine de la “crise de la raison” caractérisant notre modernité. Mais pourquoi cette foi déraisonnable en la raison suscite-t-elle une réaction aussi violente chez l’individu lucide ? N’est-ce pas parce qu’elle tend à occulter le caractère fondamentalement injustifiable et donc a-raisonnable de l’aventure rationnelle ? Et ce serait alors pour affirmer sa liberté à l’égard de toute transcendance que l’individu refuserait le choix en lui-même totalement libre et donc a-raisonnable de la raison. Mais la haine de la raison n’est-elle pas vouée à rester prisonnière de ce qu’elle nie ?
S’il faut dans un premier temps concevoir