L'ingenu
Voltaire s’efforce d’abord d’emporter l’adhésion intellectuelle de son lecteur en faisant appel à ses connaissances. Il a d’autant plus besoin de raviver ses souvenirs que l’action se situe sous le règne de Louis XIV et que Voltaire écrit quatre-vingts ans plus tard. Tel un historien, il rappelle quelques données chiffrées avec une apparente objectivité : la dépopulation de la ville de Saumur, le nombre de familles prêtes à s’exiler, le nombre de celles qui ont subi une conversion forcée. La discussion entre les protestants et l’Ingénu fait apparaître les grandes idées présidant à la révocation de l’édit de Nantes en un condensé historique efficace : le problème de la reconnaissance du pape, la querelle entre le pouvoir du pape et celui du roi, la conversion forcée avec les dragonnades. Au début de l’extrait, l’emploi du discours indirect confère au propos tenu par un habitant de Saumur, désigné par le pronom personnel indéfini « on » (l.4), une apparence d’objectivité. De même, le discours narrativisé employé pour rapporter les paroles du pasteur protestant semble garantir la neutralité du narrateur. Ce début de chapitre est donc construit de façon à ce que le lecteur ait l’impression de lire une chronique historique rapportant les conséquences de la révocation de l’édit de Nantes.
Mais Voltaire montre aussi que l’exil des protestants constitue une erreur politique grave au travers du regard naïf de l’Ingénu. Le cheminement progressif de l’Ingénu vers une prise de conscience en faveur des protestants mime la réaction attendue chez le lecteur. Certes, les ignorances et les confusions du Huron prêtent à sourire. Mais l’enchaînement de ses questions sur la signification de la citation latine, sur les raisons de l’exil, sur le pouvoir du pape et sur