L'opinion
Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs[16], lit les journaux[17], enfin se met à la recherche de cet être fantastique[18] que l'on appelle l'opinion publique[19]. "La question n'est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre[20]." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays, au lieu de s'interroger eux-mêmes[21].
Les gouvernants font de même[22], et tout aussi naïvement. Car, sentant qu'ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps[23] va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu'il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n'est point de folle conception[24] qui ne puisse quelque jour s'imposer à tous, sans que personne pourtant l'ait jamais formée de lui- même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne[25] ne pense. D'où il résulte qu'un État formé d'hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou[26]. Et ce mal vient originairement de ce que personne n'ose former son opinion[27] par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d'abord. et devant les autres aussi. »