L'usage du monde
Encore trop de neige pour la voiture sur la route de Téhéran. Nous trompions notre attente en la retapant au garage du "Point IV 2" que Roberts l'ingénieur avait gentiment mis à notre disposition. Nous le voyions beaucoup. Il n'était plus le même. Perdu son bel entrain. Un soir que je lui demandais ce qui clochait :
– Tout… c'est tout ce pays qui ne va pas.
Il revenait d'une tournée d'inspection dans un village ; en un mois les travaux n'avaient pas avancé d'un pouce et les paysans l'avaient mal reçu.
Le "Point IV" américain en Iran était alors 3 comparable à une maison de deux étages où l'on poursuivait deux activités divergentes. Au premier, à l'étage politique, on s'occupait à combattre la menace communiste en conservant – par les moyens traditionnels de la diplomatie : promesses, pressions, propagande – un gouvernement honni et corrompu, mais de droite, au pouvoir. Au second, à l'étage technique, une large équipe de spécialistes s'employaient à améliorer les conditions de vie du peuple iranien. Roberts était de ceux-là.
Lui, la politique ne l'intéresse pas. Ce qui l'intéresse, c'est l'électronique, les chansons de Doris Day ou de Patachou qui, dit-il, sont des anges, et la construction des écoles. C'est un scientifique, mais aussi un homme ouvert et bienveillant auquel l'idée de faire un travail aussi utile souriait énormément. D'où sa déception.
– Vous rendez-vous compte, je vais là-bas pour leur construire une école, et quand ils me voient arriver les gosses ramassent des cailloux.
Il reprit en souriant : "Une École !".
Je crois que l'Américain respecte beaucoup l'école en général, et l'école primaire en particulier, qui est la plus démocratique. Je crois qu'au nombre des Droits de l'homme, aucun ne lui paraît aussi plaisant que le droit à l'instruction. C'est naturel dans un pays civiquement très évolué où d'autres droits plus essentiels sont assez garantis pour que l'on n'y songe même plus. Aussi, dans la recette du bonheur