L'échappé
L’air est froid ici, malgré le soleil qui éblouit. Lentement, pour ménager ses forces, Tayar monte vers le haut du plateau calcaire, vers l’espèce de falaise verticale qui fait comme une grande marche d’escalier. Les buissons épineux griffent ses jambes, déchirent la toile de pantalon gris. Bien qu’il n’y ait personne, Tayar fait attention à ne pas laisser de traces, à ne pas briser les branches des arbustes, à ne pas déplacer les petits cailloux sur la terre sèche. Instinctivement, il retrouve les gestes anciens, ceux qu’il avait oubliés en vivant dans la ville, un peu penché en avant pour ne pas donner prise au vent, ni aux regards, les bras serrés le long du corps, respirant par le nez pour ne pas dessécher la gorge, prêt à se tapir dans un trou du sol.
Au fur et à mesure qu’il approche de la falaise rocheuse, son instinct l’avertit qu’il y a de l’eau, quelque part, au sommet. Il ne la voit pas, il ne l’entend pas, mais il la sent avec l’intérieur de son corps, comme un souvenir. Avec peine, il escalade la paroi rocheuse, et les cailloux qui s’éboulent font un bruit qui résonne dans tout le paysage de pierre. Tayar s’immobilise, recroquevillé contre les rochers, il attend que le silence revienne.
Là-haut, il y a encore davantage de lumière. Plus rien ne le sépare du ciel. L’étendue du plateau calcaire est immense, le ciel bleu pâle à l’horizon, sombre comme la nuit au zénith. Le vent fait trembloter les broussailles, agite les feuilles calcinées des arbustes. La terre entre les cailloux est grise, blanche, couleur de salpêtre. Ici, malgré le soleil, Tayar sent le froid de l’espace, le vent. C’est un vent âpre et desséchant qui souffle avec force, venu du fond de l’atmosphère. Pour se reposer, Tayar s’allonge sur la terre, il regarde le ciel. Il ici, quand il fuyait la grande ville dont il connaît chaque rue. Il pense un bref instant à Mariem, il voit son visage, son corps, ses jambes qui marchent, ses cheveux jaunes qui brillent.