l'amour
Fanny, l'heureux mortel qui près de toi respire
Sait, à te voir parler, et rougir, et sourire,
De quels hôtes divins le ciel est habité.
La grâce, la candeur, la naïve innocence
5 Ont, depuis ton enfance, De tout ce qui peut plaire enrichi ta beauté.
Sur tes traits où ton âme imprime sa noblesse, Elles ont su mêler aux roses de jeunesse Ces roses de pudeur, charmes plus séduisants,
10 Et remplir tes regards, tes lèvres, ton langage, De ce miel dont le sage
Cherche lui-même en vain à défendre ses sens.
Oh ! que n'ai-je moi seul tout l'éclat et la gloire
Que donnent les talents, la beauté, la victoire,
15 Pour fixer sur moi seul ta pensée et tes yeux !
Que, loin de moi, ton cœur soit plein de ma présence,
Comme, dans ton absence,
Ton aspect bien-aimé m'est présent en tous lieux !
Je pense : Elle était là. Tous disaient : « Qu'elle est belle !
20 Tels furent ses regards, sa démarche fut telle,
Et tels ses vêtements, sa voix et ses discours.
Sur ce gazon assise, et dominant la plaine,
Des méandres de Seine,
Rêveuse, elle suivait les obliques détours.
25 Ainsi dans les forêts j'erre avec ton image
Ainsi le jeune faon, dans son désert sauvage
D'un plomb volant percé, précipite ses pas.
Il emporte en fuyant sa mortelle blessure
Couché près d'une eau pure, 1 Palpitant, hors d'haleine, il attend le trépas.
André Chénier, Amours, posthume, 1819.
A. Causerie
Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose !
Mais la tristesse en moi monte comme la mer,
Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.
1 — Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon cœur ; les bêtes l'ont mangé.
Mon cœur est un palais flétri par la cohue ;
10 On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux !
Un parfum nage