L Homme R Volt Camus
Qu’est-ce qu’un homme révolté ? C’est d’abord un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui. Entrons dans le détail avec le mouvement de révolte. Un fonctionnaire qui a reçu des ordres toute sa vie juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Il se dresse et dit non. Que signifie ce non ?
Il signifie par exemple : « les choses ont assez duré », « il y a des limites qu’on ne peut pas dépasser
», « jusque-là oui, au-delà non », ou encore « vous allez trop loin ». En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière. Cette idée se retrouve sous une autre forme encore dans ce sentiment du révolté que l’autre « exagère », « qu’il n’y a pas de raisons pour », enfin « qu’il outrepasse son droit », la frontière, pour finir, fondant le droit. La révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi-même en quelque façon et quelque part raison. C’est en cela que le fonctionnaire révolté dit à la fois oui et non. Car il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu’il détient et préserve en deçà de la frontière. Il affirme qu’il y a en lui quelque chose qui vaut qu’on y prenne garde.
D’une certaine manière, il croit avoir raison contre l’ordre qui l’opprime. En même temps que la répulsion à l’égard de l’intrus, il y a dans toute révolte une adhésion entière et instantanée de l’homme a une certaine part de l’expérience humaine. Mais quelle est cette part ?
On pourrait avancer que le non du fonctionnaire révolté représente seulement les actes qu’il se refuse à faire. Mais on remarquera que ce non signifie aussi bien « il y a des choses que je ne peux pas faire » que « il y a des choses que vous ne pouvez pas faire ». On voit déjà que l’affirmation de la révolte s’étend à quelque chose qui transcende l’individu, qui le tire de sa solitude supposée, et qui fonde une valeur. On se bornera, pour le moment, à identifier cette valeur avec ce qui, en l’homme, demeure