L'image du sauvage de Jean du Léry
Brésil, nommés Tupinambas, avec lesquels j’ai demeuré et fréquenté familièrement environ un an, n’étant point plus grands, plus gros, ou plus petits de stature que nous sommes en l’Europe, n’ont le corps ni monstrueux ni prodigieux à notre égard : bien2 sont-ils plus forts, plus robustes et replets, plus dispos, moins sujets à maladie : et même il n’y a presque point de boiteux, de borgnes, contrefaits, ni maleficiés 3 entre eux.
Davantage, combien que4 plusieurs parviennent jusqu’ à l’âge de cent ou cent vingt ans (car ils savent bien ainsi retenir et conter leurs âges par lunes), peu y en a qui en leur vieillesse aient les cheveux ni blancs ni gris.
Choses qui pour certain montrent non seulement le bon air et bonne température de leur pays, auquel, comme j’ai dit ailleurs, sans gelées ni grandes froidures, les bois, herbes et champs sont toujours verdoyants, mais aussi (eux tous buvant vraiment à la fontaine de Jouvence 5) le peu de soin et de souci qu’ils ont des choses de ce monde. Et de fait, comme je le montrerai encore plus amplement ci- après, tout ainsi qu’ils ne puisent, en façon que ce soit en ces sources fangeuses6, ou plutôt pestilentielles, dont découlent tant de ruisseaux qui nous rongent les os, sucent la moelle, atténuent le corps, et consument l’esprit : bref nous empoisonnent et font mourir par deçà devant nos jours : à savoir, en la défiance, en l’avarice qui en procède, aux procès et brouilleries, en l’envie et ambition, aussi rien de tout cela ne les tourmente, moins 7les domine et passionne.
Quant à leur couleur naturelle, attendu 8 la région chaude où ils habitent, n’étant pas autrement noirs, ils sont seulement basanés, comme vous diriez les Espagnols ou Provençaux.
1Par conséquent
2Au contraire
3Frappé par un maléfice
4Même si
5Fontaine ramenant à la jeunesse les vieillards