N'avons-nous de devoirs qu'envers autrui ?
Les devoirs, au pluriel, s'entendent comme l'ensemble des obligations déterminées auxquelles la loi ou la morale nous contraignent. Autrui désigne cet alter ego, cet autre moi-même, qu'incarne toute personne humaine semblable à moi. S'interroger sur la possibilité d'un devoir envers une "chose" autre qu'autrui revient à se demander si la loi ou la morale peuvent validement imposer un tel impératif, qui introduirait une dissymétrie contestable. En principe, les citoyens respectent la loi parce que cette loi oblige également tous les autres citoyens ; et si l'individu suit une conduite morale, c'est bien, comme le dit Kant, parce qu'il attend une conduite similaire en retour, de la part d'autrui. Le fondement même de la loi et de la morale supposent la possibilité d'une réciprocité de comportements, réciprocité qu'on ne peut évidemment pas attendre d'une chose comme "un animal" ou d'un concept comme "la patrie".
A première vue, loi et morale se donnent seulement pour but de régler et d'harmoniser les relations interpersonnelles. Aussi les obligations qu'elles imputent aux sujets de droit (ou aux sujets moraux) ne visent-elles, en principe, que d'autres personnes humaines. Il est d'ailleurs bien difficile, dans l'ensemble des devoirs que nous impose la loi, d'en trouver un qui échappe à cette règle. Les devoirs civils (les contraintes du code de la route, par exemple, ou les obligations des parents au sein de la famille) visent souvent des personnes déterminées (autres usagers de la route, enfants). Dans d'autres cas, autrui est désigné collectivement : lorsqu'un soldat "fait son devoir" en partant au front, il défend sans doute cette abstraction qu'est la "patrie", mais dans les faits, cette "patrie" s'incarne bien dans des personnes physiques (famille, amis, voisins etc.). Il arrive également qu'autrui soit bénéficiaire "par ricochet" d'un devoir visant, en apparence, une chose extrajuridique. Ainsi, les "devoirs