Écriture de molière
L'extraordinaire longévité du théâtre de Molière, qui depuis trois siècles suscite sans cesse de nouvelles interprétations, n'est pas due à son seul contenu, et, au dire de nombreux hommes de théâtre, elle est liée à la qualité de son écriture. Jacques Copeau a bien vu que «cette efficacité est propre à l'écriture théâtrale et aux moyens qu'elle met en œuvre.» Deux raisons, sur lesquelles il convient de s'arrêter, ont poussé Molière à inventer une rhétorique nouvelle : la conscience des contraintes imposées par les conditions spécifiques de la représentation, et la conception d’une poétique originale, propre au genre dramatique comique.
Pour ce qui est des contraintes liées à la représentation, la critique s’est trop longtemps mépris sur ces questions : écrire un dialogue de théâtre ne consiste pas simplement à juxtaposer des répliques, comme on le ferait spontanément au cours d’une conversation privée. Pierre Larthomas l’a montré (Le Langage dramatique, Paris, Armand Colin, 1972) : les conditions matérielles de la représentation et la fiction du jeu scénique font du texte de théâtre «un langage surpris» par un public auquel il n'est pas adressé directement, et le dramaturge est tenu de compenser constamment la perte d'informations qui risque de se produire en raison de cette situation très particulière. En quoi un spectateur de théâtre se sentirait-il concerné, et a fortiori touché, par les propos qu’échangent deux étrangers — les personnages —, à une bonne dizaine de mètres de lui? Comment pourrait-il percevoir les légères inflexions de voix, les fines nuances qu'exprime leur physionomie, tous les signes discrets qui contribuent, au cours une conversation privée, à nuancer le message proprement verbal? Formé sur les planches, Molière sait d'expérience que le théâtre impose une stylisation de l'écriture, répondant à des lois propres au genre comique et qui en accroît l'efficacité dramatique. La méconnaissance de cette spécificité a longtemps dérouté