06 Le Pouvoir
Catégorie centrale de la pensée politique moderne, la notion de pouvoir hérite d'une histoire complexe où la tradition de la philosophie antique (des sophistes à Aristote) se croise avec des représentations issues du christianisme. Les conflits d'attribution entre autorités temporelles (l'empereur et les princes) et spirituelles (le pape et l'Église) ont marqué tout le Moyen Âge européen, et si la fin des guerres de Religion (traités de Westphalie, 1648) a tranché la question du pouvoir politique au bénéfice des premières (les princes), la conception séculière du pouvoir ainsi que les structures de son organisation (l'État) reconduisent des représentations et des structures antérieurement élaborées par les Pères de l'Église et dans les institutions ecclésiales.
La notion politique de pouvoir garde le sens général de « faculté d'agir », mais cette faculté s'exerce dans le cadre d'un rapport avec d'autres hommes. Elle voisine avec toute une série de notions apparentées dont elle se laisse parfois difficilement distinguer : force, puissance, domination, autorité, violence. La situation se retrouve dans toutes les grandes langues dans lesquelles la question du pouvoir a été problématisée en liaison avec la formation de la souveraineté de l'État moderne, et elle est démultipliée du fait que les découpages sémantiques ne sont pas homologues d'une langue à l'autre. Ainsi le terme allemand Macht peut-il être traduit, selon les cas, par « pouvoir », « force » ou « puissance ». L'allemand Gewalt est généralement rendu par « violence », mais il est aussi le terme qui équivaut au français « pouvoir » dans des expressions telles que pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire.
I - Pouvoir et domination
Une tendance forte de la tradition politique des Modernes tend à identifier le « pouvoir » à l'État souverain. Abordé sous cet angle, le pouvoir apparaît indissociable de la domination, c'est-à-dire d'une relation dissymétrique entre des individus qui sont en position de