505 baudelaire la geante
André Durand présente
‘’La géante’’
sonnet de Charles BAUDELAIRE
dans
‘’Les fleurs du mal’’
(1857)
Du temps que la Nature en sa verve puissante Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante, Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.
J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme Et grandir librement de ses terribles jeux ; Deviner si son coeur couve une sombre flamme Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ;
Parcourir à loisir ses magnifiques formes ; Ramper sur le versant de ses genoux énormes, Et parfois en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s'étendre à travers la campagne, Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins, Comme un hameau paisible au pied d'une montagne.
Commentaire
Ce sonnet appartient à un groupe de poèmes où Baudelaire exprima ses curieuses opinions esthétiques. Dans ‘’La beauté’’, il avait affirmé la fatalité du destin de celui qui la cherche. Il sembla, dans ‘’La géante’’, qui montre une forme supplémentaire de beauté, immense, monstrueuse, mais protectrice et généreuse, renverser cette fatalité dans la chaleur apaisante d’un rapport domestique : l’amant, dépeint ailleurs comme étant en perpétuel combat, a ici trouvé sa maîtresse comme un chat la sienne, les deux sens du mot «maîtresse» se confondant. La maîtresse de l’amant n’est plus la «Belle Dame sans mercy», même si un soupçon de terreur demeure puisqu’elle est un des «enfants monstrueux» de la nature, une «géante», mais qui fait de l’ombre qui protège des «soleils malsains», et permet de vivre «paisiblement», de «dormir nonchalamment». Baudelaire sentait s’effacer les contradictions qui le tourmentaient habituellement, était délivré des tensions qui occupaient son esprit.
On peut supposer qu’il a été influencé dans la rédaction de ce sonnet par une nouvelle de Cazotte : ‘’Le fou de Bagdad ou Les géants, conte antédiluvien’’ où il est question de géantes