Alain finkielkraut les temps modernes n° 378 janvier 1978
Il n'y a plus aujourd'hui, ou de moins en moins, de vie citadine: l'ordre public règne sur le silence des rues. Les grandes métropoles scintillantes et cosmopolites ne sont pas des avant-gardes urbaines, mais des exceptions qu'on révèle, des survivances qu'on visite, des archeïsmes fragiles et menacés. La dynamique actuelle d'urbanisation, ce n'est pas l'extension des cités, c'est leur extinction lente et implacable. Il y avait le centre, la périphérie, l'extérieur. A cette tripartition séculaire succède un tissu urbain généralisé, une périphérie cancéreuse qui dévore simultanément son centre (la ville) et son dehors (la campagne); non pas tant une mégalopolis qu'une mégalobanlieue, une plage suburbaine immense et continue.
Qu'est ce qu'une ville? Ce type spécifique d'implantation collective qui met en contact des étrangers, ce lieu Imprécis où l’autochtone est toujours un peu apatride, et le nouveau venu toujours un peu chez,lui, cet espace humain, enfin, où des inconnus cohabitent s’entrecroisent et risquent donc sans cesse de se rencontrer. Si l'on accepte cette définition très large, Il faut bien constater que la politique urbaine est née et s'est développée pour mettre fin à la ville. Les villes dites nouvelles sont des villes mortes où à l'expérience et à la vraisemblance de la rencontre succède la permanence brutale du désert et de l'anonymat. L’alternance entre vie privée et vie extérieure a été résorbée : il n’y a de vie qu'intime, dans un cadre extérieur vide, froid, quasi inexistant. Des aventures peuvent bien ici ou là déranger cette effroyable paix suburbaine, ce ne sont que petites turbulences marginales, feux mal éteints: nous habitons désormais des antiagglomérations. Le dehors a cessé d'être un espace public, c'est de part en part, un espace quadrillé.
«L'on croit s'assembler au spectacle et c'est là que chacun s'isole». Rousseau, le premier, a mis en évidence la solitude du spectateur moderne. Et si, épousant la cause la